Le démon du puits

Les illustrations seront réalisées par Olivier

L'été était arrivé. Enfin ! C'était la saison préférée d'Augustin, celle des soirées sans fin, des jeux dans le jardin, du vélo dans les chemins. Et surtout c'était la saison des moissons pendant lesquelles le petit garçon allait vivre dans la maison de sa Grand-Mé.

En effet, ses parents étaient bien trop occupés à travailler et ne pouvaient le surveiller. Chez Grand-Mé, il retrouvait sa cousine Périne et son cousin Célestin. Périne était une coquine, toujours partie jouer chez la voisine. Quant à Célestin, il avait trois ans de moins qu'Augustin et restait toute la journée caché dans dans le tablier de Grand-Mé.

Peu importait à Augustin, même seul il s'amusait bien, à tourmenter le chien ou à cueillir du trèfle pour les lapins. Il aidait Grand-Mé à faire à manger, à dresser la table, c'était un garçon aimable. Il savait en secret qu'il était le préféré de Grand-Mé.

La nuit, il dormait dans la chambre au-dessus du garage, qu'occupait son papa à son âge. Comme lui, il avait été un garçon bien sage, qui des livres n'arrachait jamais les pages, ne faisait jamais de chantage et connaissait le sens du mot partage. Comme lui, il aimait les nuits d'orage où, blotti dans son petit lit, il écoutait rouler la pluie.

Grand-Mé, elle, n'aimait pas l'orage, pis, elle le détestait. C'est que sa fierté était ses rosiers dont la beauté était par tous admirée. Elle cultivait également du muguet, des pensées, des œillets et encore bien d'autres variétés. Les pluies violentes réduisaient à néant tout son jardin d'agrément sur lequel elle veillait jalousement.

Dans ce petit paradis, un seul endroit était interdit à Augustin et ses cousins : le vieux puits. Il était large et profond et Grand-Mé affirmait qu'il abritait un démon.

- « Ah bon ! » s'étonnait Périne ! Augustin, cependant, était moins naïf que sa cousine.

-« C'est une ruse dont tu uses pour ne pas que l'on s'aventure près du puits, n'est-ce pas Annie ?

- Je m'appelle Grand-Mé, petit effronté, et sache que c'est Aimé, ton arrière grand-pé, qui m'a révélé ce secret ! »

Ce fut entendu, Augustin n'était pas têtu et puis démon ou non, le puits lui donnait des frissons. Jamais il ne s'en approchait, il l'ignorait et aurait même fini par l'oublier sans l'histoire des framboises…



Ce matin là, Augustin, attablé dans la cuisine avec Périne et Célestin, dessinait sur son ardoise.

Grand-Mé était arrivée tout essoufflée, l'air très énervé : elle revenait des framboisiers avec à la main un saladier… vide !

Les yeux de Grand-Mé étaient furieux entre ses rides, ceux d'Augustin étaient déjà humides.

« Mais Grand-Mé, je te le promets, ce n'est pas moi, crois-moi !

- Cela fait trois fois, Augustin, que tu te moques de moi ! Trois fois que le framboisier est complètement délesté de ses baies ! Tes cousins, Périne et Célestin, ne les apprécient pas, il n'y a que toi et moi qui aimions cela. J'ai promis des framboises à mon amie Françoise ! Elle va me prendre pour une sournoise ! »

Augustin se leva d'un bond en renversant sa chaise, ressentant un profond malaise. Il sortit en serrant les poings : comment Grand-Mé pouvait le croire chafouin à ce point ? Cette fois, c'était allé trop loin, il allait devoir mener l'enquête et partir en quête du voleur de baies qui ses payer sa tête… et lui faisait porter le chapeau !

« Trop c'est trop ! Je vais trouver le coupable et lui montrer de quoi je suis capable ! Ma Grand-Mé est fâchée, elle ne va plus m'aimer, c'est ma seule chance de retrouver sa confiance… »

Il alla s'assoir au pied du vieux chêne pour laisser couler sa peine.

« Je n'ai vraiment pas de veine. Mais réfléchissons et voyons où tout cela nous mène : mon ennemi doit agir la nuit, car pour commettre son larcin il doit entrer dans le jardin et comme j'y suis toute la journée, je l'aurais vu s'approcher des framboisiers. Et puis il doit être bien silencieux pour ne pas réveiller le chien pourtant si hargneux… Comment faire ? Je ne peux pas rester à faire le guet, Grand-Mé ne le permettrait jamais !

C'est en entrant dans la cuisine et en regardant Périne utilisait de la farine que l'idée vint à Augustin d'en saupoudrer le sol du jardin.

« Je m'en occuperai après le dîner quand j'irai nourrir les lapins.

Et c'est ce qu'il fit en catimini, il partit étaler le sachet de poudre blanche qu'il avait caché dans sa manche.

Le lendemain matin, Augustin courut dans le jardin avant le réveil de ses cousins. Il fonça tête baissée jusqu'aux framboisiers d'où partaient de petites traces de pieds : elles étaient minuscules, c'en était presque ridicule !

Augustin les suivit incrédule à travers le jardin entre les sapins, derrière le buis, sous le grand pin et enfin… jusqu'au vieux puits ! Son cœur s'emballa : et si l'histoire de Grand-Mé était vraie, si la solution c'était qu'un démon vivait dans le puits et sortait chaque nuit voler les baies des framboisiers ?!? Cette simple idée lui glaçait le sang et c'est en courant qu'il retourna dans la cuisine où il s'affala sur un banc tout tremblant.

« Et bien, chenapan, c'est à cause de toi que le jardin est tout blanc ? Et en plus tu m'as chipé deux paquets de farine, j'ai dû aller me ravitailler chez la voisine.

Je ne sais pas ce que tu manigances mais je commence à perdre patience ! »

Grand-Mé se tenait raide comme un piquet une main sur la hanche l'autre le secouant par la manche.

« Tu es puni pour la journée, tu vas rester près de moi et m'aider. »

Augustin était soulagé ; rester avec Grand-Mé ! C'est ce qu'il lui fallait pour digérer ces émotions.

Toutes les nuits qui suivirent, il rêva du démon. Grand-Mé continuait à bouder à cause des framboisiers qu'elle trouvait tous les jours pillés. Il ne pouvait pas lui en parler, jamais elle ne le croirait…

Le septième soir, alors qu'il était assis sur la balançoire, il prit une décision. Cette nuit, il guetterait le démon. Il attendit que tout le monde soit couché et dorme à poings fermés et sortit silencieusement. La Lune était pleine et éclairée le jardin entièrement.

Augustin resta tapi toute la nuit, à aucun moment il ne s'endormit. Soudain, alors que naissait le matin, sur la margelle du puits, apparut une main.

Par sa taille, elle ne pouvait être celle d'un humain. Et c'est bel et bien un lutin qui, à pieds joints, sauta dans le jardin…

Le petit être se précipitait vers les framboisiers où il s'apprêtait à remplir son panier lorsqu'une voix grondante vint l'arrêter. C'est qu'entre temps, Augustin était sorti de son abri !

- « Laisse ces framboises, créature sournoise ! Elles sont à ma Grand-Mé, qui va encore m'accuser ! Dit Augustin d'une voix hachée qui tremblait.

- Pardon mon garçon, mais c'est la saison des moissons. Plus de blé à manger, nous autres lutins sommes affamés ! Répondit le voleur sans une once de peur.Notre labeur nous demande bien de l'ardeur, c'est compliqué de s'occuper d'autant de fleurs.

- Des fleurs ?!? demanda Augustin avec stupeur. C'est Grand-Mé qui s'en est toujours occupé, tu ne manques pas de toupet de t'attribuer le mérite de leur beauté !

- Ta Grand-Mé ? s'esclaffa le petit effronté, elle aime les roses, mais jamais ne les arrose, elle cueille le muguet, sans jamais en planter, elle admire les hortensias, mais ne les taille pas ! Sans nous, le peuple du puits, ce jardin serait d'un ennui ! Ce serait l'invasion des chardons et du liseron ! »

Augustin en reste sans voix. C'était donc ça ! L'arrière grand-pé Aimé avait dit vrai. Le puits était bien habité, il s'était juste trompé sur la juste nature de ses invités.

« -Je comprends tout, articula-t-il d'un ton doux, vous cultivez les fleurs pour nous, sans que nous ne sachions rien de vous… Emplis ton panier de ces baies, je ne dirai rien à Grand-Mé, j'affirmerai que c'est moi qui les ai mangées, je veux bien être accusé maintenant que m'est révélé le secret et que c'est pour vous protéger. Puisse-tu bien vouloir m'excuser de ma grossièreté.

- Allons, mon garçon, ce n'est rien, répondit le lutin sur un ton badin, tu ne t'attendais pas un lutin mais à un démon et je t'accorde mon pardon. »

Une fois finie sa cueillette, le petit être inclina la tête et salua le garçonnet.

- « Bonne journée, petit futé. Maintenant, file te coucher avant que Grand-Mé ne s'aperçoive que tu as déserté ! Et qui sait ? Peut-être que nos chemins vont de nouveau se croiser un de ces étés ! »

Il escalada le puits tranquillement et disparut dedans en souriant

« C'est tout bonnement stupéfiant ! » s'émerveilla l'enfant sommeillant. Et c'est des rêves plein l'esprit qu'il retourna sans bruit dans son lit où aussitôt il s'endormit…



« Paresse et gourmandise !.? Bravo mon enfant, je vois que tu n'as pas fini tes sottises ! Je te rappelle qu'aujourd'hui vient ta tante Lise. J'aimerais te voir débarbouiller pour lui faire la bise ! Après avoir mangé tant de baies, tes joues doivent être bien sucrées ! Dépêche toi de te lever, je t'attends pour déjeuner. Tâche de ne pas me retarder, j'ai encore toutes mes fleurs à soigner ! »

Alors, face à sa Grand-Mé médusée, Augustin sauta du lit à pieds joints, l'attrapa par la main, et lui dit l'air malin :

- « Viens ! Je ne veux pas que tu délaisses ton jardin à cause d'un galopin » et il éclata d'un grand rire cristallin.

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